Après les modifications censées apporter un nouvel intérêt à l'émission, les téléspectateurs semblent dans un premier temps satisfaits du résultat. Mais passée la légère chute des audiences de cet été, le programme va connaître le pire de sa crise à partir de la rentrée scolaire...
Dans le milieu du PAF, 1992 a été un année chargée en bouleversements. Des chaînes disparaissent, d'autres apparaissent, on se réorganise. Et le 7 septembre 1992, France télévision est né, officialisant le regroupement administratif d'Antenne 2 et FR3. Pour marquer l'instant, les deux chaînes prennent un coup de jeune. Antenne 2 devient ainsi France 2.
Mais au delà du nom et de l'habillage de la chaîne, c'est toute une logistique qui a été remise à jour. Des nouveaux choix sont faits pour rafraîchir l'image de la chaîne. La grille des programmes a donc ainsi été chamboulée. Jusqu'à présent, Fort Boyard était diffusé le vendredi mais la direction de la chaîne a décidé pour la rentrée scolaire de consacrer cette case horaire à la diffusion de polars. Fort Boyard se retrouve ainsi au prime-time du lundi soir ! Et cela change tout ! Car les habitudes des téléspectateurs ne sont pas les mêmes d'une journée à une autre ! Et pour une émission familiale, se retrouver un lundi, jour de reprise du travail où les parents et les enfants se couchent tôt, c'est un choix qui n'a rien de judicieux.
Dans son interview pour Télé Dimanche le 20 septembre 1992, Jacques Antoine l'explique à Michel Denisot :
- Le lundi n'est pas le jour où devrait être diffusée cette émission. [L'émission spéciale des Sportifs]
- Ah ?
- Bah non puisque qu'une part importante de son public ce sont les enfants...et les adolescents.
- Donc vous pensez que si France 2 le diffusait un autre moment, un autre jour, ça marcherait beaucoup mieux ?
- Ah oui ! On a fait 25%, mais on aurait dû faire entre 30 et 32...si ça avait été le samedi ou le vendredi...ou le mardi soir.
Ce basculement du vendredi au lundi s'en ressent gravement au niveau de l’audience. D'abord la transition d'un jour à un autre oblige l'émission à s'absenter 10 jours de la programmation. Puis passé l'effervescence autour de l'émission spéciale des Sportifs qui arrive à faire une transition correcte (5 964 000 de téléspectateurs et 26% de PDM), Fort Boyard n'est pas diffusé la semaine du 21 septembre. Après ces deux vides le retour aux émissions habituelles est désastreux. L'émission suivante, celle de l'équipe des Harembee est loin de retrouver les scores de cet été (3 976 000 de téléspectateurs et 17% de PDM). Face aux terribles chiffres d'audience, c'est la panique : la chaîne décide de jouer immédiatement le tout pour le tout. Les premiers numéros nocturnes sont diffusés et tant pis s'il restait des émissions encore en stock. On espère que le caractère spécial de ces émissions fera son effet...
...mais il en est rien. C'est le début d'une série noire. Le nombre de téléspectateurs oscille à présent entre 3 500 000 et 4 000 000 et la part de marché reste dans une fourchette de 15% à 17%. Du jamais vu jusqu'alors ! Même la deuxième émission spéciale de la saison des Tout-en-or avec les athlètes des Jeux Olympiques de Barcelone ne change rien à la tendance. C'est un coup dur pour la production. Cette case horaire du lundi a été une malédiction pour le programme.
Mais peut-être n'est-ce pas là la seule raison de cet échec. Car dans le même temps, la chaîne diffuse de mauvaises informations sur sa programmation. L'ordre de passage des émissions est changé dans les derniers jours précédant la diffusion. Peut-être y a t-il eu de la précipitation pour trouver la meilleure combinaison qui aiderait à un revirement de situation ? Et ça n'a pas non plus aidé à la remontée de l'audience car les téléspectateurs ont pu remarquer ce chaos ambiant : dans les magazines télévisés, les émissions qui étaient annoncés correspondaient rarement aux émissions qui étaient réellement diffusées. Une frustration qui a pu décevoir un bon nombre de personnes prêtes à encourager leur équipe locale.
C'est aussi comme cela que les Charbons ardents, Mission Fort Boyard, les New Vikings et les Pumps n'ont pas été retransmis. À force d'être repoussées à plus tard, ces équipes n'ont pas été diffusées passé la date du 26 octobre où la chaîne a décidé d’arrêter les dégâts. Et c'est pour cette raison que sur le petit écran, c'est terminé, il n'y a plus de Fort Boyard...
Dans la presse télévisée, les titres alarmistes s’enchaînent. Du anxiogène « Où est passé Fort Boyard ? », au fataliste « Fort Boyard s'arrête », on pourra retenir le sensationnaliste « On a tué Fort Boyard ! » qui fait froid dans le dos... Certains enterrent déjà le programme « […] il faudra dire adieu à ce rendez-vous installé depuis trois ans sur la chaîne et qui, programmé en fin de semaine, déstabilisa Patrick Sébastien puis Patrick Sabatier sur TF1. ».
Certaines langues se délient aussi : « Déplacer l'émission du vendredi au lundi a été un mauvais coup pour elle. La chute d’audience était prévisible. Je sais que beaucoup de jeunes enregistrent l'émission pour la regarder ensuite mais, pour les résultats d'audience, on n'en tient pas compte. On a envoyé l'émission au casse-pipe et le public ne comprend plus. Il va croire que l'idée s'est usée. Il n'en est rien. » déplore Patrice Laffont dans un article. Mais dans la tempête médiatique, la production annonce la diffusion du reste de la saison pour les fêtes de Noël. Ouf !
Deux mois plus tard donc, seules deux émissions seront diffusées. Une le jour de Noël, l'autre le jour du nouvel an. Il s'agit des dernières émissions diurnes disponibles : celle des équipes des Lionceaux et des Pubeurs. Elles se retrouveront dans des cases horaires inhabituelles : diffusées en millieu d'après-midi à 16h30. Mais cette heure n'arrange rien. Les audiences n'auront pas changé du tout, c'est toujours aussi catastrophique. Cette tentative n'est qu'au final un coup d'épée dans l'eau de plus. Ironiquement, le hasard du calendrier fait que le 25 décembre et le 1 janvier tombent... un vendredi...
D’après les responsables de France 2, les ultimes numéros sont prévus pour être à la télévision pendant les vacances de février 1993... Malheureusement pour des raisons que l'on ignore, ce ne sera pas le cas. Le dernier espoir pour les quatre équipes de se voir sur le petit écran s'envole. C'est une triste fin de saison qui contraste avec les précédentes.
Malgré cette déconvenue, la direction de France 2 offre une deuxième chance. Elle a pu voir le potentiel de cette émission ainsi que l'engouement que le public a pu conserver sur cette dernière saison. Pour la saison suivante, il est temps de rebondir pour redresser la tendance. On change d'abord la case horaire pour le mercredi pour rechercher une occasion plus propice au moment familial dans la semaine. Pour peut-être anticiper un éventuel nouvel échec et faire ainsi un investissement financier moins lourd dans cette nouvelle saison, dix numéros seulement sont tournés et les émissions nocturnes sont supprimées car plus chères à produire. À présent Fort Boyard qui durait dans la deuxième moitié de l'année devient par nécessité un programme de l'été. Ce format de saison deviendra rapidement la norme qui est encore en vigueur aujourd'hui. Il faudra attendre des années plus tard pour assister à des exceptions à la règle. Souvenez-vous des longues saisons de 1996, 1997 et 2012 se concluant sur des émissions nocturnes enchanteresses...
Un autre choix important est pris. À peine arrivée sur le réseau France télévision et encore peu expérimentée dans le métier de présentatrice, Cendrine Domingez est choisie pour être la remplaçante de Valérie Pascale. Les bruits de couloir racontent que l’ancienne Miss France était en froid avec la production. Peut-être lui a-t-on en partie reproché les mauvaises audiences de 1992 ?
Mais cela ne suffit pas encore pour marquer le renouveau du jeu auprès des médias et du public. La directrice des programmes de France 2 Marie-France Brière, propose à Jean-Pierre Mitrecey et à Jacques Antoine l'idée d'inviter des célébrités à s'intégrer aux équipes d'anonymes. La renommée des invités va permettre de recentrer l'attention sur le programme. De plus les équipes ne concourent plus pour leur propre compte. Maintenant les boyards amassés servent à soutenir une association caritative. Patrice Laffont l'indique en introduction de chaque émission de la nouvelle saison pour insister sur ce sur point : « Bonsoir. Jouer c'est aussi avoir du cœur. Fort Boyard a décidé d'ouvrir ses fenêtres sur le monde. Ce soir une équipe de candidat va jouer...[suivi du nom de l'association du jour] ». C'est un message clair que la production souhaite transmettre : il y a du changement dans l'air !
En prenant ces décisions l'émission va dès cette saison s'éloigner peu à peu de son matériau de base : le jeu télévisé. Bien que le concept et son aspect ludique restent, l'approche proposée change. Et cela va concerner plusieurs points liés à la narration de l'émission, à l'animation et au traitement des candidats.
On va y trouver un détachement avec certains de ses codes télévisuels pourtant si présents en 1990. Par exemple on ne va plus chercher à respecter stricto sensu le chronomètre général lorsque le tournage est en cours. Initialement cette forme de narration est un besoin de retranscrire la sensation du direct, de maintenir un enjeu jusqu'au bout de l'émission ou d'insister sur le fait que l'on peut jouer chez soi en même temps que les candidats. Les premières années, ce temps semble pris en considération. Lors de la première saison, il n'est pas rare que les dernières minutes du jeu se terminent dans la précipitation. Selon les cas de figure, l'équipe doit faire un choix entre perdre du temps à libérer les prisonniers, tenter une nouvelle épreuve ou à directement entrer dans la Salle du trésor. La Clé à la mer doit être réalisée le plus vite possible pour perdre le moins de temps sur le reste du jeu. Il y a aussi lors des 10 premières émissions de 1991 les règles générales appliquées pour les aventures qui se basent sur le concept du stop ou encore : il n'y a pas de temps alloué, l'équipe décide quand arrêter l'aventure afin de garder du temps pour le chronomètre général. Il y a aussi l'animatrice qui rappelle régulièrement le temps qui reste avant l'ouverture de la salle du trésor. On se souvient d'ailleurs de Sophie Davant demandant à la régie le temps restant et obtenant une réponse très précise en retour ! C'est une preuve que l'équipe peut réellement gagner du temps et faire plus d'épreuves si elle réalise de bonnes performances.
Pour affirmer que cette mise en flou existe, on peut noter que l'animatrice intervient de moins en moins puis plus du tout au sujet du chronomètre. Elle n'y fait plus de mention exacte du temps, juste que « c'est la dernière épreuve » ou qu'« on peut encore faire une aventure ». On peut désormais tricher avec ce chronomètre en allongeant de façon sous-jacente sa durée. Beaucoup plus tard c'est un nombre fixe d'épreuves et d'aventures qui est imposé implicitement (et explicitement en 2009 avec le Chemin de fer) par la production rendant totalement illusoire l'utilisation du temps global qui est tout de même conservé.
On décide aussi de ne plus se référer aux mécaniques du jeu de rôle desquelles les créateurs se sont inspirés pour créer le jeu. Pour rappel, c'est dans Donjons et Dragons que Jacques Antoine puise l'idée d'une équipe d'aventuriers ayant chacun une classe (c'est-à-dire un métier ou une fonction) différente et cherchant à récupérer un trésor dans un lieu hostile après avoir affronté de multiples dangers. En plus de reprendre cette trame scénaristique, deux aspects propres à ce style de jeu y sont conservés. Le premier est un aspect stratégique au travers de choix que l'on propose à l'équipe. Il est lié à la gestion du temps comme remarqué ci-dessus. Le deuxième c'est l'attribution de rôles à plusieurs candidats. "L'Homme fort", "l'Intellectuel", "une personne agile",...on met en avant la caractéristique de tel ou tel candidat, sa classe si l'on se réfère au jeu de rôle. Il y a aussi le rôle du capitaine et de son remplacant le capitaine-adjoint décidant qui envoyer dans la prochaine cellule.
En ne mettant plus en avant cet aspect du jeu, le rôle de capitaine d'équipe n'a plus de sens. La production fait disparaitre cette tâche et est maintenant en charge de ce travail en préparant la filée de la prochaine émission. Ce qui permet en contrepartie au présentateur d'apporter une présentation plus travaillée pour introduire l'épreuve, se renseignant sur le candidat concerné et le faisant réagir sur ses anecdotes vécues. On cherche à mettre un pied d'égalité tous les membres de l'équipe, célébrité ou non. Il n'y a plus cette distanciation avec l'équipe qui régnait auparavant, puisque l'on parle dorénavant de celui qui va réaliser l'épreuve et non plus des spécificités de l'épreuve en elle-même. Il existe néanmoins une petite exception à cette nouvelle façon de faire lors de la période 1998-2002 avec l'apparition du Coach connaissant toutes les épreuves et les défis du Conseil à l'avance et décidant quel candidat va jouer.
Ces deux illustrations montrent que l'on cherche à simplifier les mécanismes du jeu, à les rendre moins rigoureux dans leur exécution. Il est possible de croire que l'objectif de ce choix est de faire une scission avec le passé de l'émission mais aussi de permettre à la production d'être plus souple avec les célébrités. Évitant ainsi de trop les bousculer avec des règles ou de leur faire de l'ombre en valorisant trop les compétences d'un joueur. Cette façon de faire va se généraliser à mesure que la proportion de célébrités parmi les candidats va augmenter jusqu'à englober la totalité de l'équipe en 1998. Intégrant par la suite de façon anecdotique des anonymes parmi les participants.
Le retour de l'émission est annoncé en fanfare dans les magazines télévisés. Que pense le public de cette nouvelle formule ? Malgré les craintes que pouvait avoir la production, c'est un succès immédiat auprès du public. Les audiences reviennent avec des scores excellents dont certains surpassent ceux réalisés en 1991.
La majorité des téléspectateurs sont à présent attirés en priorité par l'événement crée autour des célébrités qui viennent jouer sur le fort et non plus par le suspens lié à la victoire des candidats du jour comme dans un jeu télévisé habituel. Les bandes-annonces du programme mettent d'ailleurs l'accent sur ce point. Le programme va donc devenir un objet hybride à la rencontre du jeu et du divertissement.
Avec ce nouveau départ, la machine Fort Boyard est relancée et semble bien partie pour durer...
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